Publié par INFOMIGRANTS le 27/03/2019
La justice marocaine a récemment abandonné toutes les charges qui pesaient à l’encontre d’Helena Maleno. Accusée de trafic d’êtres humains, cette militante espagnole basée à Tanger est connue de beaucoup de migrants passés par la région. Portrait d’une battante.
Pour Helena Maleno, la mer Méditerranée a toujours été un lieu de joies “appartenant à tous”, celui des bons souvenirs d’enfance, celui qui l’a vu grandir à l’ombre des vastes serres de fruits et légumes de la petite ville d’El Ejido en Andalousie. Fille d’ouvriers agricoles, elle côtoie de nombreux travailleurs saisonniers, souvent sans-papiers, à qui la ville doit sa prospérité.
Mais un jour de février 2000, El Ejido s’enflamme. C’est un double meurtre commis par un déséquilibré marocain qui met le feu aux poudres. Les émeutes feront quelque 80 blessés et laisseront l’Espagne tolérante sous le choc. “Depuis quelques temps, je sentais le racisme monter parmi mes voisins et au-delà. D’un côté, ils utilisaient les migrants comme main d’œuvre, mais de l’autre, ils ne les intégraient pas à la société. J’ai trouvé cela injuste. C’est là que j’ai commencé à vouloir les défendre”, confie Helena Maleno, jointe par InfoMigrants.
Diplômée de journalisme, elle se lance dans des investigations. Traite des clandestins, prostitution, trafic de drogues ou d’organes : dénoncer “le business autour des migrants” devient alors son combat au quotidien. C’est dans ce contexte qu’elle part s’installer au Maroc en 2002. “J’ai été chercheur, j’ai aussi travaillé pour l’ONU ou pour le défenseur des droits espagnol. Et en parallèle, j’ai toujours continué de militer. Au début c’était de manière informelle, et petit à petit on est devenu un collectif.”
« La première fois qu’on m’a appelée pour un bateau qui chavirait remonte à 2007 »
Aujourd’hui, Helena Maleno est à la tête de Caminando Fronteras (Walking Borders), une association de défense des migrants basée à Tanger. “Je travaille beaucoup autour de l’accès aux droits, par exemple inscrire les enfants à l’état civil, la santé sexuelle des femmes, des meilleurs soins etc. Et on est aussi présents autour des naufrages : on va visiter les morgues pour connaître le nombre de victimes et essayer de les identifier, on accompagne parfois les proches, on relaie les photos des disparus etc.”, décrit Helena Maleno.
En 20 ans, l’Espagnole est devenue un pilier dans la région et au-delà. “Mon numéro circule beaucoup parmi les candidats à l’exil. La première fois qu’on m’a appelée pour un bateau qui chavirait remonte à 2007. Petit à petit notre réseau d’entraide s’est construit. Avec le temps, les migrants ont appris à me connaître, je suis devenue un réseau social à moi toute seule”, plaisante-t-elle.
Désormais, une ligne téléphonique est ouverte en permanence pour recevoir d’éventuels appels de détresse des migrants en mer. “Quand on nous appelle, on essaye de récolter un maximum d’informations et on transmet immédiatement aux secours. Je pense qu’on nous appelle car les migrants ont confiance en moi, ils se disent qu’il y a plus de chances que les secours viennent si je les préviens”, raconte celle qui se dit toujours surprise par sa “popularité” parmi les migrants.
Plus de sept ans d’enquête contre la militante en Espagne et au Maroc
Mais le combat d’Helena Maleno est loin de faire l’unanimité. Depuis des années, cette dernière est en effet sous le coup d’une enquête initiée par la police espagnole en 2012 qui l’accuse de “trafic d’êtres humains et émigration clandestine”. Sans preuve concrète, le dossier a été confié au Tribunal de Tanger en 2014, qui a finalement décidé de classer l’affaire en décembre dernier après des années d’enquête et d’angoisse pour Helena Maleno.
“Contrairement à l’Espagne qui ne m’a jamais convoquée, au Maroc j’ai pu me défendre, j’avais un avocat spécialisé en Droits Humaines, un bon traducteur, beaucoup de soutien dans les médias et la population. Même le rapporteur des Nations unies est monté au créneau”, raconte Helena Maleno. La décision d’abandonner toutes les charges a finalement été confirmée en appel mi-mars, la justice marocaine réitérant qu’il n’y avait aucune preuve d’un crime.
“Avec cette décision, le Maroc dit que le droit à la vie est plus important que la politique migratoire de l’Union européenne. Cela peut faire jurisprudence. Ma victoire, c’est une victoire pour tous”, estime-t-elle. Après ce long combat, émaillé de menaces de mort à son encontre, la quadragénaire est marquée. Mais aussi plus déterminée que jamais à faire avancer la cause des migrants et celle de ceux qui la défendent.
Son travail a plusieurs fois été récompensé ces dernières années à travers le monde. Elle a notamment reçu le prix « Nacho de la Mata » en 2015 du Conseil général des avocats espagnols, le prix de l’Association espagnole de défense des droits humains en 2018 et le prix MacBride pour la paix décerné en 2018 par le International Peace Bureau.