La vraie douleur, c’est de perdre un enfant

Koroutum et son fils n’ont pas pu monter sur le même bateau. Après avoir survécu à la route des Canaries, Koroutum a attendu pendant des mois que Souleyman se présente.

LES VICTIMES

LES FAITS

Durant la semaine du 14 au 22 décembre, les informations faisant état de bateaux quittant la ville marocaine de Dakhla à destination des îles Canaries étaient assez floues, malgré les précisions apportées par les familles concernant le nombre de personnes et d’embarcations en danger pendant la traversée. Les arrivées sur les îles ont été nombreuses et notre crainte était que certains bateaux fassent naufrage sans que nous n’ayons été avertis de leur présence.

Le 21 décembre, notre organisation a reçu le signalement de deux embarcations de fortune qui avaient quitté Dakhla trois jours plus tôt. Deux hommes, l’un à la recherche de sa compagne et l’autre resté sans nouvelles de sa femme et de son fils, ont pu nous aider à reconstituer les événements : au total, 108 personnes, divisées en quatre groupes, avaient embarqué sans que leurs familles n’aient reçu plus d’informations. Le père de l’enfant disparu nous a expliqué que trois des bateaux étaient arrivés comme prévu aux Canaries, à Las Palmas, et que selon la rumeur, le quatrième, dans lequel voyageaient probablement sa femme et son bébé de trois mois, avait également débarqué dans ces îles espagnoles mais à Ténérife. Notre collectif Caminando Fronteras a recherché les éventuels survivants mais n’a retrouvé personne. Pourtant, leurs proches étaient sûrs qu’ils avaient atteint la côte et s’attachaient, non sans angoisse, à vouloir les retrouver en essayant de trouver des explications à leur silence : “À Ténérife, on leur enlève tous leurs téléphones, c’est pour ça qu’ils ne nous ont pas contactés” ou encore : “À Ténérife, il y a des zones où il n’y a pas de réseau, c’est pour ça qu’ils n’appellent pas”, répétaient-ils pour se rassurer.

En désespoir de cause et afin de vérifier que cette embarcation avait bien accosté dans le port espagnol, le papa avec lequel nous étions en contact nous a donné un numéro de téléphone, celui de Korotoumou. Accompagnée de sa fille Nora, cette femme était une passagère de l’un des trois bateaux arrivés à Las Palmas. En revanche, son fils Kanaté, âgé de 12 ans, était toujours porté disparu: Il a été emmené séparément de sa famille à bord du bateau qui était toujours porté disparu.

LES FAMILLES

Dès son arrivée à Las Palmas de Grande Canarie, Korotoumou a alerté les autorités et les ONG de la disparition de son enfant mais on l’a ignorée. Accueillie à l’hôtel Puerto Canteras, elle nous a mis en relation avec des bénévoles responsables du lieu. Par téléphone, ils nous ont expliqué qu’elle leur avait “montré une photo du petit garçon mais que c’était du ressort de la police”. Ils nous ont parlé sans plus d’inquiétude, devant cette femme on-ne-peut-plus nerveuse du fait de la situation : un lieu nouveau, des difficultés à se faire comprendre dans sa langue maternelle, une confusion totale sur les informations concernant le bateau sur lequel avait voyagé son fils, et cet espoir minime de le retrouver.

Le collectif a proposé de déposer une plainte auprès de la police nationale car à l’issue d’une enquête approfondie que nous avons réalisée, nous pressentions qu’en réalité la quatrième embarcation n’était jamais arrivée aux Canaries. C’est donc l’avocat Daniel Arencibia qui a accompagné Korotoumou afin de signaler la disparition de son fils Kanaté Souleyman.

Sans aucune des îles, la police n’avait trouvé trace de l’enfant de Korotoumou. Les proches des autres personnes disparues ont continué à nous appeler tout au long du mois de janvier 2020, ce qui nous a permis de constater qu’aucun signe de vie n’avait été détecté depuis.

Après quelques mois, le 30 juin 2020, nous avons pu de nouveau échanger avec Korotoumou. Elle nous a raconté qu’elle était brisée par le chagrin et traumatisée par “tous les problèmes que les femmes migrantes doivent affronter au moment de l’accueil aux Canaries”. Bien qu’elle ait de la famille en Europe, elle est toujours retenue dans les îles, souffrant de tristesse et de solitude.

Son histoire est celle de milliers de femmes ignorées et maltraitées par les états et les systèmes d’accueil. Parce qu’avant d’être considérées comme des mères, elles sont vues comme des migrantes à qui l’on refuse le droit au deuil, qui font face à un deuil ambigu tout en résistant au racisme institutionnel des systèmes d’accueil.

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PLUS D'INFORMATION

Pour lire l’article (en espagnol) intitulé “Le deuil impossible du bateau que plus personne ne recherche”, cliquer ici : «El duelo pendiente por la patera que ya nadie busca», Agencia EFE, 06/07/2020